Déterritorialisation et digitalisation des procurations : comment ça marche ?

Grand changement dans la manière de voter. A partir du 1er janvier 2022, les procurations seront déterritorialisées. Mais que cela signifie-t-il concrètement ? Et plus largement, comment le système d’établissements des procurations a-t-il évoluer afin de les rendre plus simple aux électeurs ? Marie Conciatori, adjointe à la cheffe du bureau des élections et des études politiques a répondu nos questions.

Propos recueillis par Quentin Paillé

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Que signifie concrètement la déterritorialisation des votes par procuration ?

Cela découle de l’article 112 de la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, dite loi Lecornu, et ce sera effectif dès le 1er janvier 2022. Aujourd’hui, le mandant doit donner procuration à un mandataire qui est inscrit sur la même commune. Demain, il pourra donner sa procuration à n’importe quel électeur, peu importe la commune, à la condition que celui-ci soit bien inscrit sur une liste électorale. En revanche, le mandataire devra toujours se rendre dans le bureau de vote du mandant pour voter à sa place.

Qu’est ce qui a permis ce changement ?

D’abord il fallait une disposition dans la loi et le Parlement l’a prévue. Mais surtout, cette évolution a été rendue possible par la mise en place du répertoire électoral unique (REU) le 1er janvier 2019 qui regroupe toutes les listes électorales. Les procurations seront donc gérées dans le REU et directement retranscrites sur les listes d’émargement.

Il y a aujourd’hui deux façons de donner procuration : la façon classique grâce au CERFA, disponible en ligne et en version papier dans les commissariats, les brigades de gendarmeries et les tribunaux. Jusqu’à présent, ces derniers envoient les CERFA aux mairies qui procèdent à un certain nombre de vérifications et retranscrivent ensuite les procurations régulièrement établies sur les listes électorales. À compter du 1er janvier 2022, Il suffira aux agents d’entrer l’information dans le REU (via leur logiciel de gestion), ce qui permettra de contrôler que le mandataire ne dispose bien que d’une seule procuration, ou de deux dans le cas des Français établis hors de France. Cela facilite le travail des mairies, puisque les procurations sont entrées et contrôlées directement dans le REU puis automatiquement inscrites sur les listes d’émargement.

On peut aussi établir une procuration de façon dématérialisée via maprocuration.gouv.fr depuis avril 2021. Lors des dernières élections départementales et régionales de juin 2021, environ 680 000 procurations ont été établies, dont 42% établis via maprocuration.gouv.fr et 58% par le dépôt d’un CERFA. Cela va être d’une très grande utilité en 2022 pour les élections présidentielle et législatives car pour rappel, ce sont les élections qui engendrent le plus de procurations. Pour les deux tours de la présidentielle et des législatives en 2017, 3,3 millions de procurations avaient été établies.

 

Pourquoi n’est-ce pas possible de faire une procuration totalement dématérialisée sur maprocuration.fr, sans être obligé de se déplacer au commissariat, à la gendarmerie pour la finaliser ?

Maprocuration.gouv.fr est une dématérialisation partielle qui permet une simplification pour trois types de public. D’abord l’électeur : la quasi-totalité de la démarche est en ligne et il ne suffit que de passer devant une autorité habilitée pour la faire valider, ce qui représente un gain de temps pour lui. Ensuite pour les brigades et les commissariats, qui vérifient l’identité de l’électeur et valident les procurations directement en ligne sans avoir à envoyer un CERFA en mairie. Enfin, pour les mairies puisqu’elles reçoivent les procurations directement en ligne et qu’à partir du 1er janvier 2022, elles seront directement injectées dans le REU.

Il n’en demeure pas moins que l’électeur continue à passer devant un officier de police judiciaire (OPJ) ou un agent de police judiciaire (APJ) pour établir sa procuration. La procuration est une dérogation au principe constitutionnel du secret du vote. Dérogation que la société a collectivement acceptée mais cela reste une dérogation, potentiellement source de fraude, qui nécessite donc un encadrement. Le passage devant une autorité habilitée permet donc de s’assurer avec certitude de l’identité de l’électeur, ce que nous ne pouvons faire que physiquement en l’absence d’identité numérique de niveau élevé. Ensuite, cela permet de s’assurer de la volonté réelle de l’électeur de confier son vote à un autre électeur.

C’est pour cela que le passage ne se fait qu’en commissariat, brigade de gendarmerie et, à compter du 1er janvier 2022, dans les ambassades et consulats. Éclairés par un avis du Conseil d’État, le Parlement et le Gouvernement ont pour le moment toujours refusé de confier aux agents de mairie l’établissement des procurations qui sont par ailleurs déjà chargés de l’établissement des listes électorales.