« Le mode de désignation des sénateurs privilégie largement la représentation des petites communes »
Les élections sénatoriales auront lieu le 27 septembre prochain, comme le prévoit le décret no 2020-812 du 29 juin 2020 portant convocation des collèges électoraux pour l'élection des sénateurs. Un renouvellement de la moitié des sénateurs, désignés au suffrage indirect par de grands électeurs. Quelles sont les raisons historiques de ce mode d’élection particulier ? Est-il encore pertinent ? Jean-Jacques Raynal, Docteur d’État en sciences politiques et Maître de conférences honoraire, nous donne les clés pour mieux comprendre cette élection.
Les élections sénatoriales sont les seules à avoir lieu au suffrage indirect avec une désignation via de grands électeurs. Quelles sont les raisons d’un tel mode d’élection ?
La « Seconde Chambre » est apparue en France avec la Constitution thermidorienne de 1795 sous le nom de Conseil des Anciens dont les membres sont élus au suffrage indirect à deux niveaux (cantonal puis départemental) par des assemblées électorales très restreintes (environ 35 000 membres pour toute la France). Elle est devenue le Sénat conservateur en 1799 sous le Consulat et l’Empire, puis la Chambre des Pairs sous la Restauration et la Monarchie de juillet (dont les membres sont nommés) avant de redevenir le Sénat sous le Second Empire, dont les membres restent nommés directement ou indirectement par Napoléon III. Ce n’est qu’en 1875, avec l’avènement de la Troisième République, que naîtra le Sénat républicain. Mais ses membres restent élus au suffrage indirect, voire désignés de façon inamovible par les deux chambres. « Inventée » après la Terreur pour prévenir la dictature d’une assemblée unique, la Seconde Chambre a toujours été conçue pour limiter les supposés excès de la Première Chambre, plus démocratiquement élue. Présentée comme un facteur d’équilibre, elle est censée apporter plus de stabilité et de sagesse. D’où le refus permanent d’une élection au suffrage universel direct, la durée du mandat plus longue, voire la nomination à vie, le renouvellement progressif pour éviter les changements brutaux, l’âge d’éligibilité plus élevé.
Depuis la réforme de 2003, les 348 sénateurs sont élus pour six ans et le renouvellement s’opère par moitié tous les trois ans. L’idée est de garantir une plus grande stabilité de la composition du Sénat que celle de l’Assemblée nationale, entièrement renouvelée chaque cinq ans. C’est cette volonté de stabilité qui justifiait également la durée plus longue du mandat des sénateurs : neuf ans jusqu’en 2003 avec un renouvellement qui s’opérait par tiers tous les trois ans.
Ce type de suffrage est-il encore pertinent à l’heure actuelle ?
Selon le mot de Gambetta, le Sénat représente « le grand conseil des communes de France ». Cela n’a pas changé depuis l’avènement de la Troisième République et ce principe justifie le mode d'élection des sénateurs basé sur un suffrage indirect privilégiant la représentation des communes rurales. Certes des évolutions ont eu lieu depuis l’instauration du Sénat républicain (suppression des sénateurs inamovibles après la Première Guerre mondiale, introduction de la représentation proportionnelle pour l’élection des sénateurs des départements les plus peuplés, modification du corps électoral avec l’amélioration de la représentation des zones urbaines, abaissement de l’âge d’éligibilité, réduction de la durée du mandat), mais le principe de l’élection au suffrage indirect a toujours été maintenu.
On peut contester la surreprésentation de la France rurale qui découle du mode de désignation des grands électeurs qui privilégie très largement les petites communes. Ce déséquilibre était à l’origine voulu pour garantir le caractère conservateur du Sénat. Il a certes été atténué par les différentes réformes du mode de désignation, mais il n’a pas disparu, bien qu’il ne soit absolument pas justifié à l’heure actuelle ni du point de vue démocratique ni du point de vue sociologique. Sa modification s’impose donc si l’on veut améliorer la légitimité du Sénat.
Le rôle du Sénat est régulièrement questionné, quelle est votre analyse ?
Si le président du Sénat est le troisième personnage de l’État et assure l’intérim du président de la République en cas de décès ou de démission de celui-ci, le rôle du Sénat est beaucoup plus limité. Il ne peut mettre en jeu la responsabilité du gouvernement et ne peut bloquer l’exercice du pouvoir législatif par l’Assemblée nationale dès lors que celle-ci est en accord avec le gouvernement, à l’exception des lois organiques relatives au Sénat lui-même. Son rôle dans l’équilibre des pouvoirs est donc très limité et se résume essentiellement à sa participation au pouvoir constituant au titre de l’article 89 de la Constitution, à sa faculté de saisine du Conseil constitutionnel pour contrôle de la constitutionnalité des lois et la possibilité de constituer des commissions d’enquête.
En fait, la question essentielle est celle du déséquilibre des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif, au détriment de celui-ci. L’Assemblée nationale n’étant déjà guère en mesure, juridiquement ou politiquement, de jouer réellement son rôle, l’utilité du Sénat est effectivement limitée. C’est donc bien plus le renforcement du Parlement dans son ensemble qu’une remise en cause du Sénat qui apparaît nécessaire à l’équilibre des pouvoirs.