Le vote bientôt obligatoire ?
Compte tenu du niveau élevé d’abstention constaté lors des dernières élections municipales et des risques que cette situation entraîne pour la légitimité de l’action politique, une proposition de loi visant à rendre le vote obligatoire a été déposée au Sénat.
Pour faire face à la montée du taux d’abstention, ce n’est pas la première fois que l’idée de convertir le vote en une obligation juridique fait surface dans le débat politique et nous pouvons mentionner, à titre d’exemple, l’année 2003 où il est possible de trouver plusieurs propositions de loi visant à rendre le vote obligatoire. Parmi ces dernières, celle de MM. Laurent Fabius, Jean-Marc Ayrault et autres mérite peut-être d’être soulignée.
Mettant l’accent sur le taux d’abstention particulièrement élevé observé pendant les dernières élections municipales de 2020 qui se sont déroulées dans un contexte, certes, très particulier ; mais aussi, plus largement, sur les risques pour les fondements de la démocratie et pour la légitimité des représentants politiques qu’entraîne l’érosion progressive de la participation aux élections, M. Jean-Pierre Corbisez, sénateur du Pas-de-Calais, a déposé une nouvelle proposition de loi visant à rendre obligatoire la participation aux élections.
Du point de vue de la technique du droit, la nature juridique du vote est actuellement celle d’un droit. La proposition de loi qui nous occupe vise à transformer le vote en une obligation. Pour ce faire, l’article L. 1 du Code électoral serait modifié pour indiquer que le suffrage n’est pas seulement « direct et universel », mais « direct, universel et obligatoire » d’où découlerait le caractère coercitif de ce droit, au-delà de l’obligation civique et, donc, morale qu’il peut constituer actuellement.
Preuve du nouveau caractère coercitif que la proposition entend donner à l’expression du suffrage, c’est l’inclusion proposée d’un nouvel article L. 86-1 dans la partie relative aux dispositions pénales du Code électoral en vertu duquel le manquement à l’exercice du droit de vote constituerait une contravention de 2e classe au sens où l’entend l’article 131-13 du Code pénal qui, pour rappel, prévoit une amende de 150 euros pour ce type d’infractions. Cette proposition de loi, même si elle prévoit la possibilité d’être dispensé de l’obligation de voter, renvoie en revanche au règlement la définition des cas précis d’exemption.
Le nouveau caractère obligatoire du vote aurait, également, une répercussion notoire sur les inscriptions dans les listes électorales. À cet égard, l’actuel article L. 9 du Code électoral dispose que l’inscription sur celles-ci est obligatoire, mais le cadre juridique en vigueur ne prévoit, pour autant, aucune sanction si ce n’est celle de l’impossibilité de se rendre aux urnes le jour de l’élection. Pour pallier cette situation, la proposition de loi créerait un nouvel article L. 86-2 qui sanctionnerait avec la même amende que la non-participation aux élections le fait de ne pas être inscrit sur les listes, c’est-à-dire, une contravention de 2e classe d’un montant de 150 euros.
Plus largement, et afin de mener un travail de fond sur les motifs de l’abstention, cette proposition de loi comporte également un troisième article selon lequel le Gouvernement devrait remettre au Parlement un rapport relatif à l’adaptation de l’exercice du droit de vote et concernant l’éventuelle évolution possible du statut du vote blanc en France.
En effet, si le vote est rendu obligatoire, il conviendrait selon la proposition de loi de faciliter dès lors l’accomplissement de cette obligation à travers, notamment, l’admission du vote par correspondance, par Internet ainsi que la possibilité de voter dans une nouvelle commune lors d’un déménagement.
Il est intéressant de noter à cet égard que, dans les États où le vote est obligatoire, la plupart des lois de ces derniers ouvrent largement de voter par procuration, par correspondance voire par anticipation ou à domicile en contrepartie de cette obligation. Au sein de l’Union européenne, le caractère obligatoire du vote demeure toutefois l’exception. Comme le souligne une étude du Sénat, après la suppression du vote obligatoire en 1970 dans les Pays-Bas, l’obligation de voter ne subsiste plus qu’en Belgique, en Grèce au Lichtenstein et au Luxembourg où elle constitue un vestige qui remonte à la fin du XIXe siècle ou aux années 1920. Il convient de souligner dans tous les cas que, dans la pratique, les amendes en cas de non-participation aux élections ne sont pas appliquées.
Concernant l’atteinte que cette obligation peut porter à la liberté individuelle en ce qu’elle exige du citoyen un comportement actif, la Cour de justice de l’Union européenne la valide dans le cadre du respect de l’identité de chaque système juridique et de la marge de manœuvre dont jouissent les États membres pour appliquer les droits et les obligations qui découlent du droit européen. Sur le plan interne, la proposition de loi indique, dans son exposé des motifs, qu’elle pourrait constituer une obligation similaire à celle de participer à un jury d’assises ou à la journée de défense et de citoyenneté.
Il n’en reste pas moins que forcer les citoyens à utiliser leur droit de vote peut avoir des effets déstabilisateurs sur les résultats (explosion des votes nuls, blancs ou extrémistes). Si cette proposition a le mérite de relancer la discussion sur la nature juridique du vote ainsi que sur les causes de l’abstention croissante, elle semble toutefois trop ambitieuse pour être portée par un seul sénateur. Des interrogations subsistent, donc, quant à ses chances d’aboutissement compte tenu, a fortiori, du contexte de crise que nous traversons qui ne rend peut-être pas le moment idoine pour un revirement de cette ampleur en matière électorale.