Chose promise chose due : les majeurs protégés récupèrent leur droit de vote
Longuement débattu et contesté par les magistrats et les avocats, le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice est un texte qui ajoute ou modifie de nombreuses pratiques en matière de procédure (le projet de loi fait 256 pages…).
Ce projet ne se résume cependant pas aux pratiques procédurales, il modifie également le Code électoral en permettant notamment aux majeurs protégés de récupérer leur droit de vote.
Les majeurs protégés sont cités dans le projet de loi, notamment eu égard au droit civil, avec une atteinte à la liberté individuelle et au droit de mener une vie familiale normale pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine. C’est la raison pour laquelle les députés de ce groupe parlementaire ont saisi le Conseil constitutionnel. Pour ce qui nous concerne, le projet de loi a pour ambition d’insérer une nouvelle disposition sur les majeurs protégés au sein du Code électoral, dans un nouvel article 72-1, rédigé ainsi :
« Le majeur protégé exerce personnellement son droit de vote pour lequel il ne peut être représenté par la personne chargée de la mesure de protection le concernant.
Il ne peut donner procuration à l’une des personnes suivantes :
1° Le mandataire judiciaire à sa protection ;
2° Les personnes physiques propriétaires, gestionnaires, administrateurs ou employés de l’établissement ou du service soumis à autorisation ou à déclaration en application du Code de l’action sociale et des familles, d’un établissement de santé mentionné à l’article L. 6111-1 du Code de la santé publique ou d’un service soumis à agrément ou à déclaration mentionné au 2° de l’article L. 7231-1 du Code du travail qui le prend en charge, ainsi que les bénévoles ou les volontaires qui agissent au sein de ces structures ou y exercent une responsabilité ;
3° Les salariés mentionné à l’article L. 7221-1 du Code du travail accomplissant des services à la personne définis au 2° de l’article L. 7231-1 du même code. »
Cette nouvelle disposition est une avancée, justifiée par l’idée que tout le monde a le droit de voter. Après le suffrage universel pour les femmes depuis le 21 avril 1944, et pour les militaires depuis le 17 août 1945, il semblait toujours manquer les majeurs protégés. Ainsi, selon le souhait de la Secrétaire d’État auprès du Premier ministre chargé des Personnes handicapées Sophie Cluzel, « notre objectif est que tout le monde puisse voter, au plus tard, aux prochaines élections municipales de 2020 ». Le droit de vote élargi aux majeurs protégés ne concerne pas moins de 310 000 personnes privées du droit de vote par décision du juge.
Ce droit s’est accompagné de restrictions, pour permettre, autant que faire se peut, l’effectivité de leur droit de vote, et éviter que comme auparavant, ces majeurs ne soient accompagnés jusque dans l’isoloir, et qu’un tiers ne signe le registre à leur place.
Dorénavant, non seulement le majeur protégé ne peut être représenté par une autre personne, mais il ne peut pas non plus donner procuration, ce qui amène à observer que le vote doit être franc, et n’est pas susceptible d’être vicié par une autre personne. Le nouvel article 72-1 fixe même la liste des personnes qui ne peuvent disposer de la procuration effectuée par le majeur protégé : mandataire judiciaire ; personnes physiques propriétaires, gestionnaires, administrateurs ou employés des établissements de santé ou de structures d’assistance ; des salariés d’assistance à domicile.
Ainsi, tous les personnels qui sont en relation dans le cadre professionnel avec les majeurs protégés ne peuvent recevoir une procuration de ce dernier. Plus schématiquement, la procuration serait valable aux seuls amis et à la famille du majeur concerné. Cette liste restrictive doit se voir comme une limitation d’un vote faussé par procuration, et l’applicabilité réelle du droit de vote.
Cette évolution dans le droit de vote suit aussi la progression admise par le juge du mariage à l’égard des majeurs protégés. Si la Cour de cassation avait jugé en 2012 que ce mariage était conforme à la Constitution, il devait néanmoins être autorisé par le juge, qui a un pouvoir souverain d’appréciation (Cass 1re civ., 5 décembre 2012, no 11-25.158). Cette décision prend quant à elle le pas sur celle du Conseil constitutionnel qui avait décidé, à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (Cons. const., 29 juin 2012, no 2012-260 QPC) que, « l'article 460 du Code civil n'interdit pas le mariage de la personne en curatelle ; qu'il le permet avec l'autorisation du curateur ; que le refus du curateur peut être suppléé par l'autorisation du juge des tutelles dont la décision prononcée après un débat contradictoire doit être motivée en fonction de l'aptitude de l'intéressé à consentir au mariage ; que cette décision judiciaire est susceptible de recours ». Loin de vouloir priver le majeur protégé du droit de se marier, c’est la notion de consentement qui entre en ligne de compte. C’est à la seule condition que le majeur protégé donne son consentement dans un intervalle lucide que le mariage est autorisé. La situation est donc appréciée au cas par cas : une majeure souffrant de déficiente intellectuelle et d’une influençabilité manifeste s’est vu refuser le mariage.
La question du mariage des majeurs protégés doit être prise en compte, au regard de la déficience intellectuelle et de l’influençabilité. Cette question peut légitimement se poser pour le droit de vote. L’idée n’est pas de parler du bienfondé de la nouvelle mesure, mais de savoir s’il n’y a pas des risques d’une atteinte au libre consentement et à l’influençabilité des majeurs protégés. En effet, les 310 000 nouveaux votants étaient privés par décision d’un juge de voter, essentiellement au motif du handicap mental et/ou psychique.
Bien que les restrictions sur la représentation et la procuration soit expressément inscrites dans le nouvel article 72-1 du Code électoral, il n’est pas superflu de poser la question de l’influençabilité par les mêmes personnes qui ne peuvent recevoir de procuration. Étant donné la proximité quasi-permanente des salariés et administrateurs des structures de santé avec les majeurs protégés, l’influençabilité pourrait aisément se concevoir avant l’issue du vote. D’aucuns penseront que cette influençabilité s’exerce même à l’égard des majeurs non protégés dans le cadre d’une communication politique bien ficelée, mais une porte doit rester ouverte sur cette question.
Le droit de voter de majeurs protégés est une grande avancée, qui permet de reconnaître l’application effective du suffrage universel en France, même s’il peut aussi être source d’une jurisprudence concernant des votes viciés par une atteinte au consentement eu égard aux défaillances intellectuelles et à l’influençabilité qui ne peuvent être écartées.